Préambule d'une étincelle
Le projet de résidence artistique territoriale « Les invité.es » est une invitation qui m’a été faite en janvier 2022 par Antoine Hachin, chargé de médiation à DSN-Scène Nationale de Dieppe . Ce projet est financé par Dieppe Maritime, DSN – Dieppe Scène Nationale, la Direction Régionale des Affaires Culturelles de Haute Normandie, l’Éducation nationale et la Compagnie La Boîte à sel.
Le cadre proposé est 5 à 6 semaines de résidences financées de décembre à juin 2023 pour 5 à 6 artistes/technicien·nes de la compagnie. Les résidences artistiques territoriales se déroulent en immersion dans une commune de Dieppe Maritime (la commune change chaque année) et en lien avec tous les enfants de son école primaire et maternelle et, si possible, des habitant.es de la commune. L’objectif de cette résidence est de poser les premières pistes d’un futur spectacle à l’adresse du jeune public, que DSN-Dieppe Scène Nationale, peut éventuellement coproduire dans un second temps. C’est une carte blanche, avec comme demande des temps de travail avec les enfants de l’école, et une restitution finale qui pourra prendre la forme que la compagnie souhaitera, exposition, fête, petite performance etc…
Nous sommes Céline Garnavault, metteuse en scène de spectacles et Thomas Sillard, créateur et plasticiensonore et nous avons décidé de profiter de cette belle invitation pour mener un nouveau chantier de recherche artistique autour de notre spécialité : l’animation d’objets sonores vivants. Avec la particularité de partager notre processus créatif avec les enfants, tout en ouvrant aussi les coulisses aux adultes intéressé.es de la commune . Nous sommes accompagné.es par 4 professionnels du spectacle : le scénographe Olivier Droux, le constructeur Daniel Péraud, l’auteur-illustrateur jeunesse Gauthier David, ainsi que le musicien human beat box L.O.S. qui nous rejoindra pour la dernière semaine et le réalisateur Luka Merlet qui viendra tourner en avril et en juin pour écrire un court-métrage documentaire sur le projet.
Je n’avais pas du tout de projet de spectacle jeune public en préparation au moment où j’ai accepté cette proposition. Par contre, j’avais commencé un travail de recherche au long cours autour du son et des objets vivants (spectacles BLOCK et TRACK et créations à venir BAD BLOCK et Anatomie), et nous souhaitions avec mon partenaire de création Thomas Sillard, faire évoluer cette recherche vers des objets autonomes en mouvement et un travail du son portant sur les fréquences basses et la vibration. À l’heure ou la recherche-création est très difficile (voir impossible) à financer, cette invitation était pour nous une chance incroyable de réunir les conditions financières, humaines et logistiques nécessaires pour mettre en place de vrais laboratoires de recherches partagées avec les publics autour de notre langage scénique particulier avec les objets vivants.
Au sein de ce que j’appelle mon laboratoire du concret, je démarre toujours par l’observation de la matière, je « bouine » avec mon équipe, je passe beaucoup de temps à attendre, à regarder, et ça n’est pas évident car au début d’une nouvelle recherche il y a si peu de choses sur quoi s’appuyer, parfois juste une direction ou deux ou une image. Mais je m’autorise cette forme d’errance, de vide, de contemplation, d’ennui parfois, car c’est là que naissent les formes et les choses qui vont progressivement peupler les établis de mon équipe, puis de notre théâtre.
Puis, quand de premiers prototypes apparaissent, ou des volumes, je cherche à éprouver mes intuitions : suis-je la seule à m’émouvoir de cet objet qui vibre quand je le caresse ? À projeter sur ce petit servo-moteur sur planchette se trémoussant une entité vivante et attachante ? Que voient les autres humain.es dans ces microcosmes composites aux comportements aléatoires, dans ces bidouilles qui nous échappent, nous résistent et s’inventent une vie propre ? Qu’est-ce que ça leur évoque, à 3 ans, 7 ans, 10 ans, 50 ans, 70 ans ? J’ai rapidement envie de poser ces questions à d’autres que l’équipe artistique parce que je suis convaincue que plus on est nombreux·es, plus les projets s’enrichissent de nos identités plurielles, des imaginaires convoqués, des questions que nous posent nos co-rêveurs* petit·es et grand·es (pour reprendre un terme d’Emma Mérabet).
C’est cette étape vertigineuse et délicate de mon processus créatif que j’ai proposé de dévoiler et de partager pendant 5 semaines avec toute l’équipe pédagogique et les enfants de l’école de Tourville-Sur-Arques, mais aussi avec les habitant·es (parents d’élèves et curieux·ses). C’est quoi une recherche ? D’où vient une idée ? Comment ça commence une aventure de création ? Et comment ça peut nous relier les un·es les autres de partager ça ?
Avec Thomas Sillard, en décembre 2022 nous sommes allés rencontrer le Maire de la commune et les habitant•es, nous avons organisé une projection de notre film « Track, L’écho du Circuit », c’était une façon pour nous de faire entrer tout le monde dans notre univers, et de leur montrer le temps long de la recherche notamment. (Si c’était à refaire, aujourd’hui nous ferions différemment, nous montrerions de courts extraits et prendrions un grand temps d’échange avec les parents car le film était long, il y avait beaucoup d’enfants petits qui s’ennuyaient, et l’attente des parents étaient plus portée sur le projet de résidence ce qui s’entend. Petite erreur de début de parcours sans aucune conséquence sur la suite heureusement.)
Le lendemain nous avons eu une réunion avec les institutrices de l’école, et nous leur avons expliqué que nous ne savions pas encore exactement ce que nous allions faire, que nous étions à l’étape avant la toute première étincelle, avant le premier concept, avant même de pouvoir poser des mots clairs sur ce que nous cherchions et que nous voulions partager cela avec elles et les enfants : ce grand flou, ce grand vertige, ce secret de la naissance de quelque chose. Que pour nous aussi c’était vertigineux, flippant et qu’on réalisait que c’était fou comme proposition et la confiance qu’on leur demandait, mais que nous avions une très grande confiance en ce processus qui est le notre, et que nous avons déjà éprouvé.
Je me souviens de l’exclamation chaleureuse de l’une des institutrices à l’issue de notre explication : « C’est très clair, ça me donne super envie, ça va être génial! ». Cette phrase reflète à elle seule l’ambiance de cette école : un projet ça tient par les humain·es qui le soutiennent, le rêvent, le vivent et il est important de préciser à quel point le notre a pu s’appuyer et se déployer grâce à la confiance, la chaleur humaine, l’enjouement, la disponibilité, la souplesse et l’enthousiasme de toute l’équipe pédagogique de l’école Les pt’its mots passants de Tourville-Sur-Arques.
Semaine 1 / février 2023
Yoann Colin, le Maire de Tourville-sur-Arques, nous a mis à disposition la salle polyvalente pour chaque semaine de résidence, des activités associatives ont été décalées ou déplacées (merci aux assos) pour nous permettre d’installer notre gros chantier de fabrication. Après une réunion au cours de laquelle je donne les premières directions de recherche : faire apparaître des sortes de mottes vivantes et sonores, Thomas, Olivier et Daniel se mettent aussitôt au travail. Il y a des outils et du bazar absolument partout : sculpture de mousse, moteur sur roues et bidouilles en tout genre jonchent la salle. Thomas a aussi une idée en tête : un culbuto qui avance tout seul. Et quand Thomas a une idée en tête, rien ne l’arrête (vous le découvrirez bientôt).
Nous faisons la connaissance de Samuel, Christophe et Mickaël, les agents municipaux avec qui l’entente est immédiate. Ils nous livrent du matériel en tracteur et n’hésitent pas à passer voir ce qu’on fabrique ou à prendre un café avec nous, nous avons également droit à une visite de leur immense atelier. On se sent un peu à la maison ici.
Pour Gauthier et moi ce sont les premiers pas à l’école. On s’est mis la pression et on a un peu le trac. Nous avons préparé nos séances pour les enfants, la thématique est : « à l’écoute des sons et de la matière ». L’atelier est le même pour les 5 classes de l’école, (même si légèrement adapté pour les plus petit·es) car le principe fondateur de notre projet c’est de traverser tous et toutes le même cheminement et la même expérience artistique.
Chaque séance commence dans la classe par une lecture, (nous sommes deux passionné·es de littérature jeunesse, Gauthier est lui même auteur-illustrateur jeunesse ). Le premier livre choisi est le merveilleux : « Une idée » de Hervé Tullet. Il met tout le monde sur la même longueur d’onde (je l’ai d’ailleurs lu à l’équipe des invité.es le matin même), on le lit à deux voix avec Gauthier et on se découvre l’un l’autre en le faisant (parce que c’est nouveau pour nous de travailler ensemble), le livre raconte comment arrivent les idées, et comment il faut chercher chercher chercher… et apprendre à regarder pour les trouver, et aussi comme ça demande du travail, et comme ça peut tout simplement changer le monde de faire naitre des idées.