
Un tour de chant geek mi-pneu mi-punk est né, c'est pas correct et ça fait du bien !
Le jour où Thomas Sillard m’a présenté sa nouvelle machine, LA TÊTE, j ‘ai tout de suite adoré sa dégaine et sa gouaille : elle parle tout le temps et trop fort, elle ne comprend rien, elle s’emporte, elle est malpolie, «too much» mais pourtant on a toujours envie de l’écouter.
C’est vrai qu’elle peut tout se permettre : sous ses allures de bricolage inoffensif, son irrévérence et sa liberté de parole font mouche. Thomas Sillard a probablement trouvé à travers cette machine super-vivante un exutoire, un espace de liberté et d’insolence enfantine qui fait du bien et qui touche les gens directement.
Nous avons donc proposé au prolifique et frondeur Kim Giani, grand complice de la compagnie, d’écrire et de composer des chansons sur-mesure pour la créature. Là dessus, l’envie nous est venue de fabriquer des bouches géantes sonorisées et motorisées pour en faire ses choristes.
En janvier 2025 nous sommes partis mettre à l’épreuve ce concept en Seine Maritime, profitant d’un projet de résidence-médiation dans une école, avec la commune de Petit Caux et DSN-Dieppe Scène nationale. C’est donc entourés d’enfants que LA TÊTE a chanté sur scène pour la première fois. On ne pouvait pas rêver mieux : les enfants étaient aussi ravis que nous de la rencontrer et d’entonner ses refrains impertinents.
Une interprète du troisième type
LA TÊTE est une machine sensible, vulnérable, touchante, qui interprète ses chansons avec sincérité, perd parfois patience contre ses choristes, harangue son public, doute d’elle-même, déprime parfois, rigole souvent. Ce qui la rend si vivante et attachante c’est sa simplicité d’être, en relation directe avec le public, dans une forme brute très rock and roll.
Tout l’enjeu de ce tour de chant - porté par un complexe dispositif marionnettique et technologique - sera donc de garder intacte cette flamme, ce rapport direct et sincère de LA TÊTE au public mais aussi au personnage de la régisseuse et aux autres marionnettes.
Donc pas de scénographie ni de mise en scène exubérante, mais le parti-pris d’une forme épurée en hommage à l’esthétique des tours de chant, avec quelques points de couleurs en mouvement, des dynamiques de jeu théâtrales et des dialogues efficaces pour mettre en valeur les chansons de la sensible créature : des chansons comme autant de poèmes suréalistes, existentiels, touchants et drôles, allant droit au coeur, à l’humour et à l’intelligence des enfants et/ou des adultes.
Une scénographie d’objets vivants
La scénographie épurée du tour de chant de La Tête propose au public une expérience active et inédite : en matérialisant le son et la musique dans des objets marionnettiques sonores doués de mouvement, elle recompose l’espace par la spatialisation visuelle du son. Hyper concrète, pop, ludique et hypnotique elle convoque fortement l’imagination des spectateurs.
LA TÊTE est dressée, sur son pied à roulettes, étonnamment vivante. Un caoutchouc orange en guise de bouche, quelques boulons, un cerclage de métal tordu esquissant son crâne, deux balles de ping pong pour ses yeux mobiles, de petits moteurs, des fils : elle est une machine bricolée et ne prétend pas être autre chose que ça, même si parfois c’est dur puisque les aliments passent à travers elle, comme elle nous le confie dans sa chanson «Sushi», que le sable la gratte et l’ennuie dans «La nature», qu’elle n’est jamais en sécurité en tournée à cause des problèmes de voltage dans «Tête de gondole» et qu’elle a surtout la flemme dans «J’veux pas faire des trucs».
Autour d’elle, trônent 11 bouches géantes aux couleurs éclatantes, avec leur glottes hauts-parleurs rouge vif, elles semblent en suspension perchées au bout de leurs longues et fines tiges d’acier.
Au gré des déplacements des bouches par la régisseuse, l’installation se transfome : sections d’une chorale classique, choristes débridées, groupe de rock, ensemble vocal de human beatbox ou artefacts d’instruments de musique, les bouches incarnent chaque composition, et jouent tous les rôles avec brio.
Volubiles et véloces, elle claquent et s’agitent au rythme de leur chants, et de leurs mots et habitent l’espace, tels des yeux géants ou des papillons hallucinatoires. Capables d’autonomie elles prennent la parole à l’occasion, râlent contre la Tête, réclament des aménagements, bref elles sont totalement vivantes !
Une télécommande géante, à la gondry, arguant ses boutons colorés de jeu d’arcade joue de cette sobriété apparente et donne à l’ensemble cette touche bricolée déroutante. C’est de cette télécommande que la régisseuse (ou parfois même le public) peuvent décider de l’ordre des chansons du spectacle.