NOTE D'INTENTION, par Céline Garnavault
Expérimenter un théâtre de l'écoute et de la résonance affective
Et si soudain, les émotions réprimées apparaissaient en se matérialisant tout autour de soi, dans des objets vivants de formes et de tailles diverses - parfois énormes - et qu’elles prenaient toute la place et l’espace sonore, bruyamment, allègrement. Il faudrait alors faire avec ces émois, ces traumas subitement visibles, exposés au grand jour, au monde, aux autres, dans toute leur vérité brute et rugissante. Comment cohabiter avec ces parts de nous-même qui nous échappent? Qu’est-ce que cette situation surréaliste transformerait pour tout le monde ?
ANATOMIE s'appuiera sur l’imaginaire du corps et des émotions réprimées et plus particulièrement sur la somatisation de nos émotions et de nos expériences : celles qu’on enfouit, qu’on cache et qu’on évite d’affronter tout au long de sa vie.
Il y a dans ce projet une dimension féministe liée à la nécessité et l’urgence de prendre la parole, la place, de s’autoriser à exister pleinement, mais aussi un questionnement sur le soin, l’écoute et notre capacité à nous transformer, à nous libérer de ce qui nous gouverne malgré nous dans une forme, non pas d’invisibilisation du trauma, mais de cohabitation.
Comment on peut mettre en lumière cette somatisation de nos émotions et nos expériences ? L’amplifier ? Monter le volume ? Ce travail de matérialisation et d'amplification est au coeur de la recherche que nous menons avec Thomas Sillard sur le son acteur, moteur, le son scénographie vivante et le mouvement autonome des objets. Au sein de ce projet, et en général au sein de la compagnie, l’immédiateté du rapport entre la scène et la salle est au cœur du processus. En ce sens, l’objectif est d’accorder le temps de la représentation avec celui de la fiction : nous sommes ensemble dans une salle au présent où les choses se passent.
Ce soir-là, sur le plateau du théâtre de la ville, une femme (sans doute prise dans un business pyramidal) fait la promotion d’une poudre pour se purifier, se nettoyer des toxines, etc. Cette poudre censée nettoyer le corps le fait, mais d’une façon totalement inattendue : en matérialisant les émotions réprimées des personnes qui la consomment. La protagoniste déroule sa présentation tout en essayant de contenir ses propres émotions matérialisées qui - au fur et à mesure qu’elles sont sorties des sacs transparents dans lesquels elles étaient rangées en guise d’échantillons - prennent possession de l’espace scénique et commencent à y vivre leur propre vie.
Tranquillement, on glisse vers la Science-fiction. À mi-chemin entre les imaginaires de la vendeuse de tupperware et les rituels d’Ayahuasca. Les boules d’émotion sont des partenaires avec lesquels cette femme va s’ouvrir littéralement, prendre plus de place, devenir plus bruyante, plus bordélique et en même temps nous inviter dans son apprentissage d’une vie plus vaste.
Qu’est-ce qui fait que tout s’ouvre dans la manière dont on envisage la vie ? Autrement dit, comment fonctionne l’émancipation ? Le périmètre de la vie s’augmente, mais comment ? Par où ça passe ?
Avec ANATOMIE je souhaite écrire la métaphore burlesque et poétique d’une transformation profonde, une Arche de Noé des sentiments, une mise en résonance joyeuse et généreuse de la cacophonie de nos émotions et à travers elles, révéler la voix profonde d’une femme, qui se démultiplie, se déploie, se déplie, qui habite le monde et se réapproprie sa vie.