TRACK : piste, sentier, route, voie, trajectoire, empreinte, impression, trace, morceau de musique, piste musicale, chemin de fer (voie)
Résumé
Il entre avec sa locomotive sous le bras, dans sa cabane-atelier, son havre à lui. C'est là qu'il s’est fabriqué un monde, une base arrière d’où il peut s’évader sans bouger. Parce que lui, ce qu’il aime c’est être entouré de sons, de mouvements et d’histoires qu’il s’invente. Alors il trace des pistes et monte des circuits où il dépose des petits trains à moteur, pour que ça tourne, à l’infini. Avec sa bouche et sa voix, il leur fabrique des voyages, ouvre des espaces et des chemins sonores et laisse son empreinte vocale se déployer et flotter comme la fumée de ses locos. Répétition après répétition, boucle après boucle, le voici qui s’aventure un peu plus, se risquant, sans en avoir l’air, dans de téméraires et sensibles aventures. Il réinvente l’idée même du voyage, le sien sans cesse renouvelé, a capella et à dix doigts, odyssée miniature et pourtant extraordinaire d’un étrange chef de gare, géant délicat veillant sur son monde minuscule.
Ce qui est en jeu dans TRACK et comment ça va se présenter
Au départ du projet, il y a la voix du comédien et human beatbox Laurent Duprat. Dans TRACK je souhaite donner à voir, concrètement, la construction en direct de compositions musicales et de paysages sonores. C’est à dire, matérialiser des boucles sonores et des strates de son dans des objets physiques puis, les mettre en mouvement. Ces modules sonores seront embarqués sur des petits trains qui vont tourner tout autour de Laurent sur les rails d’un circuit géant.
Le public sera installé à 270° autour de ce grand circuit et assistera à une chorégraphie ferroviaire où les signalisations, les passages à niveaux et les barrières, seront les métronomes hors norme d’un théâtre d’objets sonores connectés en mouvement.
Les petits trains sont des objets chargés d’un imaginaire collectif puissant. Ils portent en eux – et cela, quel que soit l’âge de celui qui regarde - la force d’évocation du jeu et de tous les voyages. Avec son souffle et sa voix Laurent sera le moteur des locomotives. Tour à tour, marionnettiste, passager, conducteur ou spectateur. Intérieur ou extérieur au dispositif, avec une liberté et une porosité dans les rôles qu’on retrouve dans les jeux des enfants.
Contenu technique et technologique au service de la dramaturgie
Dans nos créations le son est moteur de jeu, il est une matière concrète au même titre que les objets et les matériaux avec lesquels sont construits nos univers plastiques. Dans cette démarche, nous faisons appel à la technologie pour inventer nos propres outils au service de la dramaturgie.
Pour que le son soit palpable, manipulable – à la manière d’une unité d’un jeu de construction- Thomas Sillard, plasticien sonore, a développé en 2018 un système d’objets connectés qui tiennent dans la main : des hauts-parleurs sans fils, intelligents et interactifs, dont la première génération a donné lieu au spectacle BLOCK .
Cette invention née de la rencontre entre ma pratique de marionnettiste et celle de créateur sonore de Thomas a ouvert la voie à un nouveau langage, en constant développement, que nous appelons:théâtre d’objets sonores connectés, et qui est aujourd’hui l’axe principal de nos recherches et la spécificité de la compagnie.
Dans TRACK, je convoque le human beatbox qui est un médium concret et organique avec le corps comme seul instrument. Sa structure est celle de la boucle, de la répétition et de la juxtaposition.Elle se rapproche en cela de la façon dont les enfants appréhendent le langage et jouent avec leurs voix.
Je souhaite matérialiser cette construction sonore et ces boucles par une mise en orbite concrète des sons joués en direct. Les sons seront diffusés par des modules sonores connectés conçus pour reprendre les pistes de voix de Laurent en live. Ces modules eux-même seront mis en mouvement sur notre circuit ferroviaire.
L’ensemble du dispositif sera déployé sur plusieurs niveaux d’un circuit de 5m de diamètre, comprenant aiguillages, barrières et dispositifs mécaniques lumineux et percussifs. L’écriture de cette spatialisation sonore en mouvement est inédite pour nous comme pour le compositeur-interprète et ne peut s’écrire qu’en situation, au plateau.
Processus de création et d’écriture
J’invente des formes sonores, visuelles et technologiques. Dans TRACK je rassemble plusieurs médiums : le human beatbox, le théâtre d’objets, la création sonore et la technologie au service de l’ensemble.
Les recherches que je mène au plateau autour de ces éléments - principalement par improvisations et frictions entre les différents langages - génèrent un ensemble de séquences, ou tableaux. Je travaille ensuite à l’agencement de ces séquences qui sont articulées - non pas par l’autorité d’une narration a priori qui viendrait imposer tel ou tel récit - mais avec un dosage entre le fil narratif et le collage. Dans ma démarche c’est la matière - qui n’est pas toujours obéissante - qui fait autorité.Cela vaut aussi bien pour les objets que pour la technologie d’ailleurs.
Cet agencement de séquences est directement relié à la notion de parcours et d’expérience des spectateurs. Je dessine un chemin pour l’ouïe et le regard : je définis ce que je veux qu’ils regardent - mais pas ce que je veux qu’ils voient - et là où je veux qu’ils écoutent - mais pas ce que je veux qu’ils entendent. Je leur donne en quelque sorte un plan pour se repérer à l’intérieur de l’ œuvre, je les guide.
Dans les formes que je propose, le spectateur est dispensé de la nécessité d’une logique narrative.Il est simplement invité à cheminer. Ce sont les médiums eux-mêmes qui transportent et font office de véhicule pour le spectateur .
Pour ce faire, je balise le parcours en créant des focus et des plans précis, au sens cinématographique. Ces repères, ces focus, génèrent leur propres narrations et fictions. Je m’embarrasse rarement de la transition, j’ai plutôt une pratique de l’ellipse et de la juxtaposition.Je travaille par association libre sans me perdre dans le surréalisme, car ce qui m’intéresse c’est la jubilation et la liberté qui explosent soudain quand un collage est réussi. Cela rejoint la logique des enfants qui, dans leurs jeux ou leurs récits, s’exemptent de toutes contraintes pour déplier leur propre logique et sont en cela des créateurs inspirants.
L’écriture sonore et le théâtre d’objets ont en commun de s’appuyer énormément sur les éllipses et de basculer aisément dans des unités de temps et de lieux différents. En ce sens je ne force rien, au contraire, bien souvent dans le processus, je laisse advenir. C’est d’ailleurs là, dans la liberté qui s’impose, dans la résistance que je rencontre et le déplacement que ça induit, que se précise le cœur de ma démarche. Aujourd’hui cette méthode de travail m’est essentielle car j’ai pu vérifier qu’elle produit un dépassement qui m’autorise un incessant contact avec l’inattendu et m’offre un renouvellement continu.
Le fil narratif est souvent pris en charge par la présence de l’interprète au plateau. C’est à dire que son parcours de personnage - en relation avec les objets et leur microcosme - agit comme un référent pour le public. Sa sincérité totale, son obstination dans une quête de compréhension et une tentative d’organisation du monde, les conflits que cela engendre, ses difficultés, sa volonté de maîtrise et la résistance des choses, c’est cela ce que je veux mettre en perspective pour le public. Aussi, on peut dire que dans mes spectacles les objets, le son et l’humain se partagent la responsabilité de l’histoire.
Céline Garnavault