Retrouvez tous les articles, textes, billets d'humeurs, récits et autres annonces concernant la vie de la compagnie et ses créations.
L’objet de ce rapport commandé par le SYNDEAC était d’évaluer les propositions du « comité de suivi » du régime d’indemnisation des intermittents composé, d’une part, des principales organisations professionnelles du secteur, (syndicats -d’employeurs, de salariés, coordination etc.) et, d’autre part, de parlementaires de droite et de gauche.
Préalablement, je souhaiterais revenir sur deux éléments essentiels permettant de mettre en perspective les propositions du comité de suivi dans le cadre plus large du nécessaire équilibre de l’assurance chômage dans son ensemble :
– 1er élément largement admis depuis le rapport de JP Gilles :
On ne peut pas parler de déficit du régime d’indemnisation des intermittents. Il est absurde d’interpréter le décalage d’un milliard d’euros entre les cotisations et les allocations des seuls intermittents comme l’effet d’un défaut dans la gestion de la caisse des intermittents. Car cette caisse n’existe pas.
La seule chose qui existe c’est la caisse de l’assurance chômage qui est gérée selon le principe de la solidarité interprofessionnelle et qui a donc vocation à être équilibrée à l’échelle interprofessionnelle.
On a, d’un côté, des salariés qui ne connaissent pas un seul épisode de chômage dans l’année et génèrent par conséquent un excédent puisqu’ils cotisent sans percevoir d’allocation. Une bonne gestion de l’assurance chômage, visant l’équilibre des comptes, impliquerait qu’on ait, de l’autre côté, un solde négatif parfaitement symétrique. Les intermittents, comme les intérimaires et tous les autres salariés à l’emploi discontinu, qui
connaissent par définition des épisodes de chômage, sont de cet autre côté. Ils pourront donc, aussi longtemps qu’il existera une assurance chômage et une solidarité interprofessionnelle, être stigmatisés pour leur prétendu déficit.
– 2nd élément:
Le régime des intermittents est-il “privilégié”? Peut-on parler d’un surcoût de 320 millions d’euros?
Là aussi, il y a eu un contre-sens. Les intermittents ne bénéficient pas d’un régime de faveur, ils bénéficient seulement de règles adaptées à la discontinuité de l’emploi. Les intermittents ne coûtent pas plus cher que les autres chômeurs : ces 3,5 % des effectifs indemnisés représentent 3,4 % des dépenses. Il n’y a pas de « privilège » par rapport au régime général.
Certes, comme cela a été calculé, si on supprimait les annexes 8 et 10 et qu’on les basculait au régime général, le « coût » des 100 000 intermittents diminuerait de 320 millions d’euros.
Mais la réciproque n’est pas vraie : si on basculait 100 000 allocataires du régime général dans les annexes 8 et 10, on ne dépenserait pas 320 millions supplémentaires. Au contraire on ferait aussi des économies considérables.
En imposant à ces salariés du régime général les règles d’indemnisation des intermittents, on exclurait, d’un côté, les plus précaires, ceux qui parviennent à faire 610 heures en 28 mois dans le régime général, mais qui ne parviendraient pas à faire 507 heures en 10 mois dans les annexes 8 et 10. En effet, contrairement à une idée reçue, les règles d’accès à
l’indemnisation sont beaucoup plus restrictives pour les intermittents (en 28 mois, ils font 1400 heures).
De l’autre côté, les salariés les plus stables qui ont droit à 24 ou 36 mois d’indemnisation dans le RG (selon qu’ils ont plus ou moins de 50 ans) n’auraient droit qu’à 8 mois dans le régime des intermittents.
On ferait ainsi des économies pour une simple raison : le régime général est plus adapté à l’emploi stable, le régime des intermittents à l’emploi intermittent. Mais l’un n’est pas plus coûteux ou privilégié que l’autre.
Ces deux remarques préliminaires étant faites, j’en viens à la présentation des propositions du comité de suivi et au rapport rédigé pour le SYNDEAC.
Pour résumer « l’esprit » de ces propositions, on peut distinguer trois lignes directrices :
– Premièrement, Avec les règles d’éligibilité au régime – les intermittents souhaitent le retour à 507h en 12 mois au lieu de 10 mois ou 10,5 mois actuellement – il s’agit de lutter contre la précarité en couvrant mieux ceux qui sont le plus dans une logique d’intermittence, d’émergence, autrement dit ceux qui sont le plus éloignés de la logique « routinière » de ce qu’on appelle la « permittence ».
– Deuxièmement, Avec le retour à une date anniversaire, c’est-à-dire à un réexamen des droits à date fixe (contre la logique mise en place en 2003 de réexamen à l’épuisement d’un « capital » de 243 indemnités journalières), il s’agit d’améliorer la « qualité » de l’indemnisation : en évitant le caractère très aléatoire du système actuel dans lequel on ne sait jamais quand seront examinés les droits, ni quelles périodes d’emploi seront prises en compte. Autrement dit, il s’agit d’éviter que la précarité de l’emploi ne soit redoublée par une précarité de l’indemnisation.
– Troisièmement avec des règles limitant le cumul entre salaire et indemnité, il s’agit de promouvoir plus de « justice » en évitant de verser des indemnités importantes à ceux qui bénéficient des salaires les plus importants et les plus réguliers. On vise ici en particulier les ressources des “permittents”.
Techniquement, les propositions que nous avons testées sont donc les suivantes :
– un retour à une éligibilité en 507 h en 12 mois contre 10 mois ou 10,5 mois actuellement
– une logique de date anniversaire avec une indemnisation sur 12 mois contre un système à droit de tirage actuellement
– un calcul de l’allocation journalière inchangée
– un retour à la franchise de 2003 adaptée à un rythme annuel
– la mise en place d’un plafond mensuel de cumul salaire + indemnités (qui est la seule proposition qu’a retenu l’Unedic)
– par ailleurs, concernant les recettes de l’assurance chômage, nous avons calculé différentes hypothèses dont celle d’un déplafonnement de l’assiette des cotisations.
Pour évaluer les effets de ces propositions, nous avons procédé à une double simulation, sur l’année 2011, en calculant les droits à l’indemnisation de tous les intermittents,
– d’une part avec les règles du modèle encore en vigueur aujourd’hui et,
– d’autre part, avec celles des propositions alternatives du comité de suivi.
Nous disposions pour cela d’une base décrivant l’ensemble des contrats de travail et des salaires des intermittents grâce au fichier anonymisé de la Caisse des Congés spectacles.
Globalement, nous arrivons à trois conclusions essentielles.
– 1ère conclusion : concernant les effectifs indemnisés
En passant de 507 h en 10 mois ou 10,5 mois à 507 h en 12 mois, le nombre d’intermittents bénéficiant de la couverture d’assurance chômage au moins un jour dans l’année, serait en hausse d’un peu moins de 4%. Cela confirme ce que l’on savait déjà : même si ce montant n’est pas négligeable, il n’est pas non plus considérable. En revenant à 507 h en 12 mois, on n’ouvre pas la porte à une quantité inconsidérée de précaires avec des effets explosifs sur les comptes de l’assurance chômage.
– La 2ème conclusion essentielle est que ce paramètre du seuil d’éligibilité (le nombre d’heures à effectuer en x mois) ne correspond pas à la représentation qu’en ont souvent les partenaires sociaux, qui le considèrent comme un levier permettant de réguler le nombre d’intermittents. En réalité, le durcissement (ou inversement l’assouplissement) des règles d’éligibilité a surtout pour effet d’accentuer (ou de diminuer) le nombre d’intermittents qui se trouvent exclus provisoirement (un mois, deux mois, 10 mois) de l’assurance chômage avant de la réintégrer.
C’est en partie ce qui explique l’énorme erreur des services de l’Unedic qui avaient prévu en 2003 que le nouveau seuil permettrait d’exclure 30 000 intermittents. En réalité, ce nouveau seuil a beaucoup précarisé, mais le nombre d’intermittents n’a pas diminué.
La plus grande difficulté à atteindre le seuil d’éligibilité se traduit en effet avant tout par une détérioration des situations individuelles et par une précarisation du droit à indemnisation des intermittents. De ce point de vue, le retour à 507h en 12 mois est un moyen de “déprécariser” la couverture chômage.
Dans notre comparaison, le nombre d’intermittents à connaitre une rupture d’indemnité d’au moins un mois – ceux qu’on peut appeler les intermittents de l’intermittence – est 70 % plus élevé dans le système actuel que dans le système alternatif.
– 3ème conclusion:
L’analyse de plusieurs versions du modèle alternatif montre que le modèle alternatif peut tout à fait présenter un coût net égal ou inférieur au modèle actuel. L’économie générale de ces propositions repose sur un équilibre entre :
– des propositions qui génèrent d’un côté des dépenses supplémentaires modérées, comme l’intégration de 4% d’intermittents en plus du fait du retour au 507h en 12 mois,
– et des propositions qui ont un effet de baisse du coût :
. comme le plafond de cumul mensuel ;
. comme le système à date anniversaire qui a pour effet de provoquer plus
régulièrement des franchises pour les plus hauts revenus;
. comme le déplafonnement des cotisations.
Avec les paramètres les plus sévères, avec un plafond de cumul établi au niveau du plafond de la sécurité sociale (3 129 euros en 2014), le modèle alternatif peut aller jusqu’à une diminution d’environ 100 millions d’euros.
Avec des paramètres fixés de manière moins radicale, par exemple, avec un plafond à 1,5 fois le plafond de la sécurité sociale (4600 euros), on peut en rester à un coût constant ce qui permettrait globalement de demeurer dans un traitement des intermittents qui soit équivalent à celui des autres allocataires.
En résumé, les propositions du comité de suivi sont de nature :
– à améliorer qualitativement la condition sociale des intermittents en faisant en sorte que le régime d’indemnisation ne redouble pas la précarité de l’emploi en générant de l’aléa comme il le fait depuis 2003.
– à promouvoir une répartition plus juste (c’est à dire plus favorable à ceux qui sont le plus dans l’intermittence et moins favorable à ceux qui bénéficient des salaires les plus élevés et les plus réguliers, comme en particulier les permittents).
Et ces propositions ne sont pas inflationnistes : elles présentent des mécanismes régulatoires susceptibles de contenir le coût général du dispositif.
Du reste, cet équilibre n’est pas surprenant dans la mesure où ces propositions sont nées d’un constat simple : la réforme de 2003 s’est traduite par une précarisation des moins réguliers, par l’introduction d’un aléa important dans l’accès à l’indemnisation, par un redoublement des inégalités d’emploi par l’assurance chômage elle-même (qui a amélioré les allocations des intermittents les mieux payés et les plus réguliers). Et cette détérioration qualitative du dispositif par la réforme de 2003 n’a pas généré d’économie. Partant de là, il y a évidemment d’énormes marges d’amélioration à coût constant.
Pour terminer, je voudrais faire quelques remarques sur les recommandations de votre commission que nous avons en partie testées par curiosité bien que cela dépassait la commande émise par le SYNDEAC.
Parmi celles-ci, le fait d’établir un seuil d’éligibilité à 580 et 650 heures sur 12 mois aurait des conséquences importantes et assez néfastes pour les intermittents.
– Première conséquence : plus de 7% des intermittents seraient exclus (définitivement) du régime. Et si l’on s’en tient aux données publiées par Pôle Emploi, on constate qu’environ 25% des techniciens ne seraient plus éligibles au moins à titre provisoire avec les règles proposées par cette recommandation sénatoriales. Il ne fait de doute que ce sont les plus intermittents, les moins réguliers, les moins bien rémunérés qui seraient concernés par cette exclusion.
– Seconde conséquence, plus indirecte : Le seuil d’éligibilité (c’est-à-dire le nombre d’heures travaillées minimum pour accéder au régime d’indemnisation) apparaît dans le calcul même de l’indemnité journalière. Autrement dit, ce paramètre ne joue pas seulement un rôle de barrière à l’entrée, il joue aussi un rôle dans le calcul de l’indemnité journalière. En l’occurrence, plus ce seuil est élevé, plus l’indemnité journalière est basse.
Comme la recommandation était d’élever ce seuil de manière très significative, l’indemnité journalière en aurait été abaissée de manière forte.
Ceci étant, pour finir, je voudrais à la fois vous remercier d’avoir pris la peine d’organiser cette audition sur le chiffrage des propositions du « comité de suivi », et à la fois, dire mon regret que ces propositions, pas plus d’ailleurs que l’immense travail réalisé par les parlementaires à l’Assemblée et au Sénat, n’aient été considérés comme dignes d’être étudiés par les partenaires sociaux signataires de l’accord du 22 mars.
Si à cela on ajoute la lecture purement administrative du pouvoir d’agrément que semble adopter l’exécutif – à l’encontre de la lecture politique de ce pouvoir qui avait prévalu avec Martine Aubry sous le gouvernement Jospin – on peut s’interroger sur le rôle qu’entend se donner le pouvoir politique en matière de droits des chômeurs et des salariés à l’emploi discontinu, au-delà d’un simple rôle de documentation du débat pour les uns et d’un rôle purement administratif pour les autres.
Je vous remercie de votre attention. »