« Nous avons eu le plaisir de clôturer Galerie par un livre, un livre d’un soixantaine de page que nous avons écrit, mis en page et édité en une semaine chrono, nous replongeant dans deux années d’enregistrements, de documents amassés, de traces de rencontres. Ce livre pas comme les autres, nous l’avons laissé feuilles volantes, et l’avons relié avec les habitants le jour de la fête de quartier de Montanou : que chacun reparte avec son objet, confectionné par ses soins, avec un récit réinventé par chacun, pour que de l’intime rien de soit trahi, et que ce qu’il reste de ce projet réintègre son espace de naissance – leurs étagères, leurs mondes, et leurs histoires. » Rouge juin 2017

Extraits du journal de bord de Jessica Hartley
"Une petite pause d'atelier pour se remettre de ces trois jours de peinture dans le climat instable de novembre... Je retrouve les joues, nez, regards des habitants de Montanou, le grain de leur peau dans la texture du fusain, avec cette affection permise seulement, par les projets au long court : les noms, les trajectoires, les immeubles nous deviennent familiers. Ils sont entrés dans nos vies. On dessine un peu de la leur. Si l'on était autre que créatrices, sans doute faudrait-il cloisonner, tracer une limite claire. Mais nous pouvons rester floues, perméables, ajustables à mesure des rencontres : les protocoles des débuts me semble bien loin. Nous ne sommes plus dans le système, nous sommes rentrés dans le cycle."
Rouge, novembre 2016

"En passant un peu de temps là où je n'avais pour prise première que les analyses lointaines, j'apprends qu'il est grand temps pour moi d'opérer enfin, un glissement.
L'espace public (un peu comme "l'acte citoyen") est devenu ce concept citerne dans lequel verser abondamment le bouillon dominant. Le ton semble être : "s'il est public, il n'est à personne, fais-y donc ce que tu veux."
J'ai cru longtemps qu'on se battait contre la prédominance de la publicité, de l'imagerie sexiste, de la carence poétique du monde fonctionnel, de l'incitation marchande.
Mais ça ne me suffit plus : il semble aujourd'hui qu'il faille se battre pour, et doucement, glisser de l'espace public, à l'espace commun.
Car s'il est des endroits où il est le bien de tous et non pas celui de personne, c'est bien au Grand Parc à Bordeaux, à Montanou à Agen, ailleurs sans doute.
Et on ne fait pas n'importe quoi avec le bien de tous. On ne passe pas au rouleau compresseur "laïque" les identités culturelles. On n'exige pas des uns qu'ils soient invisibles pour les autres, et des unes, qu'elles n'existent que dans le règne de l'insulte et de la violence.
On essaie des trucs et des machins et on observe prudemment, comment ces trucs et machins sont adoptés. On se déplie petit à petit. On insiste avec douceur, on répète un geste qu'on espère réparateur. Bref, je cherche, à tâtons, autour de cette idée de Mitoyens : ces voisins que nous sommes, avec ce quelque chose en commun."
Rouge, sept 2016

" 01.03.2015. Montanou - Après la pluie/ 1 jour à Agen : 9 février 2015
Le jour même j’ai, seulement, griffonné quelques notes. Aucune rédaction immédiate, je n’ai rien saisi du vif, parce que le vif était encore sans forme. Nous nous sommes décidés, en amont et sans certitudes, pour une galerie de portraits, récoltés au fil des rencontres comme un calendrier humain d’un projet que nous ne maîtrisons pas encore. Je me demande pourtant : ne se trompe-t-on pas? Dire quelque chose de ces quelques uns, est-ce vraiment dire un quartier?Qu’est-ce qu’un quartier? Comment y rencontrer? Et surtout, que dire de ces rencontres qui ne soit ni :
- une pathétique mise en majesté destinée à conforter l’empathie des publics sans liens avec la réalité d’un quotidien - une intrusion avec nos mots dans leur silence une uniformisation, ni une singularisation bien-pensante qui viendrait nier le corps social - cette banale redite : il y a de l’humain en chacun.
Je comptais sur l’écoulement des jours pour construire le nécessaire panorama : pourtant, je ne surplombe toujours en rien la proposition. Quelque chose me travaille : le goût du politique et de l’espace. On a le temps, l’endroit. La seule chose à inventer, c’est le mode d’emploi, et le courage de faire forme même avec des propositions vouées à l’échec.
La proposition du portrait tient la route, et me tient au coeur : pourtant, j’aimerai qu’elle ne soit que le prémisse, la fonction de contagion et de contact nécessaire au développement d’un corps plus global, moins intime, un agencement de cellule qui saurait raconter un peu, la pluie sur le toit du centre social, le jaune des murs, les appartements empilés et les destins géographiquement, les un aux autres, soudés.
Une autre pensée persiste : pourquoi chercher à tant dire, quand dans le contexte donné, faire est déjà immense. Il faut rentrer dans ces immeubles. "
